dimanche 16 octobre 2011

Les illusions retrouvées


Il existe au sein de l'International Spy Foundation un département dirigé par le grand chaman en personne. Le département des réalités qu'O'Flaherty, jamais en reste pour ramener sa science, a surnommé
la caverne. Il renferme tout ce qui peut exister sur le marché en matière de tripatouillage de la vérité vraie. Staboulov m'avait fait la retape :
- Un matos ultrasophistiqué mais aussi toute une série de contacts bien placés et les moyens de pression ad hoc pour briser leur réticences éventuelles. Tu vois mec, c'est pas le tout de créer une fausse information, il faut trouver la bonne personne pour la balancer.
C'est dans le cadre de ce département qu'on avait traité le dossier Jimmy Jones. J'ai la désagréable impression qu'on allait bientôt nous balancer l'ombre gracile de la vieille Dounia Summers sur les murs lézardés de l'inside City.

jeudi 3 mars 2011

La pêche à la truite dans les rivières de N.D.Lay


Ange Staboulov m'a convoqué ce matin dans son bureau. Est-ce que je me souvenais de Nicolas Ardbeg ? Et bien figurez-vous, m'a-t-il dit, il s'est échappé de Kcavaz Tnerual.

Le grand chaman m'a balancé ça, comme il en a l'habitude, en donnant un petit coup sec sur la ligne pour tester la réaction du poisson.

J'ai fait comme de rien.

Il a continué
- On l'avait à l'oeil pourtant. Mais pas assez faut croire. Comme vous le savez peut-être, il avait d'abord atterri à Saint Alban, à la demande de sa copine. Il picolait pas mal et entendait des voix et y'en a eu une, plus vicieuse, plus maligne on ne sait pas, qui lui avait demandé de faire un carton dans le magasin où il travaillait. Alors il a tout raconté à la fille qui a tout de suite prévenu les flics. On ne peut se fier à personne n'est-ce pas ?
- Et pourquoi donc qu'il a été transféré ici ? Saint Alban est à plus de dix mille bornes non?
- Effectivement. Mais sa copine est du coin. C'est même la fille du directeur de Kcavaz Tnerual. Gwendoline Mitchell. Marrant non...
- Si on veut.

Ce Nicolas Ardbeg dans la nature, quelque chose me disait que c'était pas une très bonne nouvelle. A la mort de Da Silva, il m'avait envoyé une bafouille complètement délirante :

"Je suis de tout coeur avec vous dans l'épreuve que vous traversez. Raoul, mon ami, m'a beaucoup parlé de vous. Il vous tenait en grande estime. Vous devez savoir qu'il ne s'est pas suicidé. Cela a sans doute à voir avec vos multiples recherches. Le grand Rimasky et la nommée Rose. Bien sûr, tout ceci doit rester entre nous.
Bien à vous.
Nicolas."

Comme d'habitude, Ange Staboulov avait joué au con avec mes nerfs :
- Enfin, rassurez-vous, il a été retrouvé. Il chialait comme un gosse à côté du cadavre d'une femme. Une camée. Une certaine Dounia Summers
- Il l'a...?
- C'est ce que disent les flics.Lui se défend. Il accuse. Devinez qui?
- Charly Wang ?

J'avais lâché ça sans réfléchir. Une évidence. Je m'étais souvenu de cette silhouette sombre sur le mur du White Swan et de cette inscription:
"A la mémoire de Dounia Summers"
- Putain vous délirez ?
- Je plaisantais
J'avais montré mes talents de pêcheur.
- Ouais...Notez, z'êtes pas tombé loin.
- Alors qui ?
- Jimmy Jones

dimanche 19 décembre 2010

L'origine du monde


Lors de mon arrivée à N.D.Lay, j'ai contacté Ange Staboulov. J'avais travaillé pour lui à l'époque des compagnons d'Oneiros . J'ai fait comme si on ne se connaissait pas. Je lui ai juste dit que nous avions un ami commun, le docteur Schott. D'ailleurs aucun de nous n'a jamais évoqué
le passé et je me demande parfois si tout cela est vraiment arrivé. Staboulov m'a embauché comme veilleur de nuit . Il m'a donné l'adresse du White Swan. "Un hôtel pas cher à deux pas d'ici, qu'il m'a dit. il est tenu par un ami à moi. Un chinois."
C'est comme ça que le patron du White Swan est entré dans l'espace de mes préoccupations mentales. Je ne connais pas grand chose sur Charly Wang si ce n'est cette amitié avec Staboulov et des rumeurs sur son appartenance au Guoanbu, un service secret chinois. O'Flaherty, le responsable du service de cryptographie de l'International spy Foundation m'a dit un jour cette chose qui m'avait beaucoup intrigué:
- Je me suis toujours demandé si c'était un hasard mais je n'avais jamais entendu parler de Charly Wang ni de Jimmy Jones avant que tu débarques.
Un hasard ? Je me souviens de cette citation que le directeur de l'International Spy Foundation avait encadré et accroché au mur de son bureau: "Le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito."
Le hasard. Dieu ou Ange Staboulov ?



mardi 26 octobre 2010

Le mystère des poissons lunes


J'ai clos le dossier Jimmy Jones et j'ai repris mon boulot de veilleur de nuit à l'International Spy Foundation. J'y ai retrouvé les hommes en complet gris, à qui en échange d'une carte d'accréditation, je confie des clés dont ils ne se serviront pas. Etre à nouveau inutile me redonne un peu de légèreté. J'échange parfois quelques mots avec le patron sur de nouveaux gadgets que la boite s'est offerts. Hier, il m'a demandé mon avis sur les avantages comparés de divers algorithmes de cryptages. "Cela restera entre nous" a-t-il tenu à préciser "je fais entièrement confiance à O'Flaherty pour choisir le meilleur système".
Je pense à Jimmy Jones-Ghidetti, à son bref séjour parmi les compagnons d'Oneiros . Il jouait parfois les barmans au Gulliver. Je le voyais souvent trainer, sa bouteille de Gentleman Jack à la main. La fondation semble être un décor créé pour donner le change comme jadis la brasserie d'André Legoff . L'ancien barman du Soho avait-il lui aussi ce sentiment d'être un passager clandestin ?

samedi 4 septembre 2010

Des printemps et des automnes


Hier soir, comme tous les soirs depuis le début de notre mission, j'ai rencontré O'Flaherty au Ruth's Chris Steak House. Il m'a balancé le fond de sa pensée, tout en colère rentrée, bien dans les manières de cet irlandais nourri à la mamelle de la vieille Angleterre.
- Bon, que les choses soient claires. J'exécute mais j'approuve pas. Staboulov nous a mouillé dans sa combine pour dissimuler ses magouilles.
Il s'est arrêté de parler et a jeté un oeil autour de lui . Personne ne semblait faire attention à nous. La brasserie était bourrée de monde et avec le bruit de fond, de toute façon, il aurait été difficile de nous entendre à deux mètres.
- Ca fait longtemps que tout le monde dans la boite sait que Jones et
Ghidetti sont une seule et même personne. Toi-même...
Moi même oui ... Une chose me turlupinait :
- Mais pourquoi Staboulov a caché l'affaire jusqu'à maintenant?
- Pour pas défriser Charly Wang. Tu sais, ce type arrose la fondation. On reçoit de l'argent du gouvernement fédéral mais c'est loin de suffire. Jusque là , le chinois couvrait son homme de main. Mais apparemment, il a décidé de le lâcher.
Ce revirement du représentant de l'Inside City n'avait sûrement rien d'anodin. L'ancien membre du Guoanbu avait tout compris des manières de surnager en eau trouble . J'ai repensé à cette phrase qu'il avait l'habitude de prononcer lorsqu'on lui reprochait un coup tordu : " Il est plus sûr d'être craint que d'être aimé."
On était bien loin du vieux Lao Tseu.

dimanche 22 août 2010

La mort de Gregor


L'avenir m'a laissé tomber. Les traces de Jimmy Jones s'accrochent à mes chaussures comme un vieux chewing gum. J'ai quitté temporairement mon boulot de veilleur de nuit pour une mission à plein temps organisée aux petits oignons par le sieur Staboulov. De mon passé de spécialiste en linguistique électro-informatique, j'ai gardé une bonne connaissance du trifouillage des données. Le boss m'avait balancé les données de l'opération. On avait deux dossiers gruyères sur deux individus : Jimmy Jones et Joe Ghidetti. Comme on voulait pas passer pour des branquignols,vis à vis de la postérité et des types là-haut qui décident des lignes budgétaires... là il s'est arrêté un instant pour voir si je suivais... on va traficoter tout ça. On va réécrire réécrire l'histoire depuis le début. On a toujours sû que Jimmy Jones était Joe Ghidetti. Un dossier, une identité. Jimmy Jones alias Joe Ghidetti. Plus de gruyère et s'il reste des trous,j'inventais. J'allais bosser avec O'Flaherty. "Un type un peu trop honnête à mon goût, s'est marré le grand manitou, mais il a l'esprit maison. Des questions ?"
Pas de question. J'ai pris contact avec l'irlandais. Nous passons nos journées à inventorier, copier, couper, coller. L'histoire s'écrit désormais en langage SQL.

mercredi 21 avril 2010

Le syndrome du caméléon


Le patron m'a convoqué. Il préférait que je me charge du boulot moi-même. Tout ce qui touche à Charly Wang pouvait nous exploser à la gueule à la moindre fuite. Je comprenais ?

Je comprenais .
Il a à peine levé la tête à mon entrée. Il parcourait l'écran de son IBM. Un nouveau joujou qu'il avait connecté au fameux roadrunner, supercalculateur qu'il partageait avec l'Agence Centrale Fédérale
- Nos gars du département de morpho-analyse sont formels. Jimmy Jones n'est autre que le fameux Joe Ghidetti.
Il s'est interrompu et a esquissé un sourire :
- "Vous vous en doutiez un peu n'est-ce pas ? Maintenant on en a la preuve. Il va falloir fusionner les deux dossiers et ajuster les époques. Bon dieu, ce type est un vrai caméléon".
Staboulov parcourait son mémo.
"Le gars apparait dans nos tablettes à l'époque où il commence à publier ses poèmes et ses nouvelles sous le nom de Jimmy Jones. Puis disparait de la circulation et réapparait en barman du Soho sous le nom de Joe Ghidetti. Il vient vous rendre une petite visite et s'intéresse à vos amis du Gulliver. Nouvelle disparition. Il revient à N.D.Lay et il reprend son nom de Jimmy Jones. Il devient l'associé de Charly Wang. Ce type est né à vingt ans et a eu pas mal de vies successives. On en rêve tous."
Un vrai caméléon. J'ai repensé au Docteur Schott . Il avait écrit un livre là-dessus. Il m'en avait parlé un jour. C'était dans une autre vie.
En écrivant cela j'ai bien conscience de jouer avec le feu. Une autre vie. Cela pousse en moi à la manière d'une grosseur suspecte.

dimanche 18 avril 2010

N.D.Lay's movies


C'est O'Flaherty qui a découvert le truc. Dans une pile de vieux
Outsider tirée des archives papier de l'International Spy Foundation . Un rayon un peu désuet, consacré aux revues subversives particulièrement surveillées par le gouvernement fédéral. L'irlandais, toujours au taquet sur la réputation de la maison a tenu à préciser: "Attention, il ne s'agissait pas de travailler pour le gouvernement mais d'un projet interne strictement destiné à archiver les renseignements dans un but de conservation." Je ne sais toujours pas si le directeur du département de cryptologie est passé maître dans l'utilisation de la vaseline ou s'il peut être considéré comme le dernier des croyants. Pour découvrir ce genre de pépite je suis de toute façon prêt à avaler n'importe quelle saloperie de lubrifiant. C'est une nouvelle écrite par Jimmy Jones dans un numéro dédié au maître de N.D.Lay. Un hommage. Un peu grossier mais bien ficelé. Je l'ai lu avec une certaine tendresse comme on regarde un vieux film en super huit .

La nuit tombait. J'étais assis dans un bar à N.D.Lay , près d'illégal Boulevard. Un truc clinquant rempli de vieux hippies et de jeunes trous du cul cravatés. Je venais de terminer une lecture poétique dans un tout autre endroit rempli d'un tout autre genre de gens mais tout aussi trous du cul et cravatés. Le cirque habituel : le vieux Jimasky éructe son désespoir et son mal de vivre. Le barman s'est approché de moi. J'ai reconnu Joe Ghidetti. Un type que j'avais rencontré il y a une vingtaine d'années dans les bars de la Western Avenue.
« Ce vieux Jim, qu'il m'a dit, paraît qu't'es venu montrer ton cul aux morveux de l'université.
- Le cirque habituel, j'ai répondu.
- Dis moi Jim, tu dois connaître un tas de types bien placés à Végas, hein vieux frère.
J'ai jamais été son vieux frère ni le vieux frère d'aucun connard de la Western Avenue.
« Laisse tomber Joe »
Il agrippa mon poignet de sa main poisseuse et approcha son visage du mien. Il dégoulinait de sueur.
« On sait c'que c'est, à Végas, pas vrai. Copain et compagnie. Tout être humain a l'droit à sa chance, pas vrai Jim ? J'ai un numéro à t'montrer. Un numéro un peu spécial. Ca devrait leur plaire à Végas»
Le mec me dégoûtait. Sa bouche sentait le vomi. Mais il avait raison : tout être humain a le droit à sa chance.
« Allez, déballe ta camelote, j'ai dit.
- Pas ici. Amène toi chez moi, ce soir à 8h. C'est au bout d'la rue. Au dessus du chinois. Y'aura d'la bière et du whisky. Comme au bon vieux temps, n'est-ce pas vieux frère ? »
Je l'ai saisi au colbac et j'ai serré de toutes mes forces. Sa gueule de rata commencé à virer au mauve.
« J'suis pas ton vieux frère connard ».
J'ai laché la pression et lui ai adressé mon plus beau sourire.
«A huit heure chez toi. Comme au bon vieux temps, hein Joe ? »

J'ai monté les escaliers à huit heures tapantes. Qu'est-ce qui clochait chez moi. J'aurais pu finir la nuit avec une de ces pisseuses de l'université. Une soirée baise et littérature avec une fille de la haute. Elle m'aurait pompé le noeud. . J'aurais déclamé quelques vers du grand Jeffers et raconter mon combat de boxe avec Hemingway. On aurait fini au plumard. Le vieux Léon Jimasky aurait trempé son poireau dans un jeune corps souple et bronzé., passé sa nuit à ramoner la chatte d'une étudiante férue de littérature. Je bandais comme un âne. Je frappai à la porte. Joe vint m' ouvrir. On aurait dit qu'il avait vu le père-noël. Ca me calma aussi sec. Ce cinglé sautait sur place. Il gueulait :

- «Nom de dieu de bordel de merde, il est venu ! il est venu, nom de dieu, il est venu ! ».
Derrière lui se tenait une fille brune d'environ vingt cinq ans. Elle avait du noir autour des yeux et de long cheveux enserrés dans un bandeau violet.
Elle semblait avoir sa dose.
« Kicéça , que j'demande.
- Rien, une beatnik. Elle a un peu forcé sur la bibine, je crois.
- La bibine mon cul, j'ai répondu, elle est raide défoncée cette gamine.
Joe s'était approché de la fille. Il me regardait avec des yeux révulsés. Ce type était complètement dingue. Avant que j'ai pu faire un geste, il avait sorti un cutter et l'appuyait sur la gorge de la petite camée. Il continuait de me regarder.
« Pas vrai Léon qu'il vont aimer ça, à Végas. Un happening, comme ils disent les morveux de l'université. J'vais égorger cette petite salope, là, devant toi, Jimasky. Une oeuvre d'art. Mieux qu'tes poèmes de merde, pas vrai ?
L'ordure s'approchait de moi. Il avait fait une sale erreur. J' ai pivoté doucement sur le côté et j'ai pensé au vieil Hemingway. Je lui ai balancé un crochet du droit, juste au creux des reins. Il a lâché le cutter et la fille. J'l'ai terminé d'un uppercut du gauche. Joe Ghidetti s'est écroulé sur la moquette. J'ai poussé la fille vers la porte. Elle chialait.
Je suis resté un bon moment dans l'appartement. Joe avait tiré les rideaux
et allumé quelques bougies. Sûr qu'il aurait fait un tabac. A North Beach ou à Greenwich village. J'ai fini par sortir. La petite camée m'attendait en bas. Elle m'a souri. J'ai laissé tombé toute considération artistique. Je bandais à nouveau comme un âne.


samedi 3 avril 2010

Zélig


Jimmy Jones. Il semble avoir perdu toute identité précise. Omnniprésent et incertain , c'est l'associé de Charly Wang. Je l'ai rencontré il y a quelque temps, casque de chantier sur la tête, participant à une de ces nombreuses opérations de nettoyage qui s'attaquent aux murs et aux rues de l'Inside City. Il m'est apparu ainsi à plusieurs reprises dans les tenues les plus extravagantes. En blouse d'épicier, tenant la caisse du magasin d'alimentation qu'il a ouvert avec le propriétaire du White Swan , un peu plus tard, en tablier rouge bordeaux, prenant commandes au Ruth Steack house et un soir, à l'International Spy Foundation, en bleu de travail , venant jeter un coup d'oeil à la chaufferie. Il m' a tendu un laisser-passer signé de la main même d'Ange Staboulov. A quoi joue-t-il ? O'Flaherty m'a proposé son aide.
"Mon vieux, le grand manitou n'est pas clair dans l'histoire. Il va foutre la fondation dans la merde avec ses magouilles".
L'irlandais tient a l'honneur de la maison. Il a mis à ma disposition les archives numérisées du département de vidéosurveillance. Je passe mes journées à les éplucher, l'oeil rivé sur l'écran de mon vieux Toshiba, guettant l'apparition de la silhouette familière de celui que le responsable de la crypto surnomme désormais "le caméléon".

samedi 6 mars 2010

Totem et tabou


J'ai refilé le matos à qui de droit, une centaine de clichés en noir et blanc. Le technicien du labo a effectué les tirages sur un papier Bergger baryté, un must selon O'Flaherty. L'irlandais m'a balancé tout un laïus sur la pureté des blancs et le rendu des contrastes. Je n'ai personnellement jamais rien entravé à ces arguties esthétisantes. A ce qu'il m'a dit, les tirages vont être numérisés dans la bécane centrale de l'International Spy Foundation. Il tient à garder les originaux dans ses archives personnelles . A quoi rime tout çela? "A prendre date " m'a-t-il répondu. Il a ajouté : " On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas". Qu'on ne savait pas quoi ? Il s'est contenté de noyer le poiscaille, bien aidé par la sonnerie de son bipper.
Ce matin, je suis allé faire un tour du côté de la Western Avenue. Je me suis arrêté devant le Soho. Ses néons éteints, ses petits carreaux dépolis et crasseux, lui donnaient l'apparence d'un hôtel borgne. Une plaque était apposée à côté de la porte:
ici a bu le grand Rimasky . Je n'ai pas su quoi penser de ce genre d'initiative. J'hésitai entre une vague nausée et un grand éclat de rire mais ça fait longtemps que je n'ai plus le coeur à rire. Le malaise ne m'a pas quitté de la journée. Malgré mes efforts désespérés de me mettre au diapason de la dérision généralisée, je garde encore en moi quelque chose comme le sens du sacré.


lundi 22 février 2010

His name is Wang


Ce matin , Charly Wang m'a demandé si j'avais terminé mon travail . J' ai eu comme un instant d'hésitation. Il a ajouté avec un sourire:
- " Celui pour le département de cryptographie bien sûr."
Je me doutais un peu qu'il était au courant. Un type qui passe ses après-midis à photographier les murs, se remarque rapidement dans le quartier. Le patron du White Swan prend la chose avec bonhommie :
- Voyez-vous mon ami, contrairement à ce que certains veulent faire croire, je ne veux pas étouffer, comme vous dites chez vous,
la liberté d'expression .
Il a prononcé ces derniers mots en français, avec une emphase ironique, pas mécontent de montrer sa connaissance de la culture de mon pays et de son arrogance si souvent moquée de ce coté-ci de la planète. Le chinois est de ce point de vue bien intégré dans le paysage. Il a continué :
- Non. Simplement, je veux que chacun ici, se promenant dans son quartier, puisse s'y sentir fier d' y habiter, que nous ne soyons plus considérés par la municipalité comme des citoyens de seconde zone. Pour cela, nous ne devons pas nous comporter comme des citoyens de seconde zone. Nous devons nous tenir debout.
Il a balancé son boniment sans ciller. Je n'ai pas mouffeté. Laisse tomber la neige, dit le sage en remontant son col. Je ne suis pas porté sur la controverse. J'espère seulement qu'un jour la vie ne me fera pas payer ma lâcheté. Pour le moment, je serre les dents et je rase les murs à la recherche d'un coin d'ombre.



jeudi 18 février 2010

What is the question ?


N.D.Lay est une mégalopole maniaque. Un nid d'excellence. Chacun y chasse la mouche dans le lait à grand coup de DDT. Cela donne aux résidents périphériques un goût amer mais un vernis irréprochable. "L'Inside City, c'est autre chose, vous verrez. C'est un bateau à la dérive" que m'avait dit Charly Wang à mon arrivée. Je n'avais pas saisi à l'époque à quel point il le regrettait. La grande lessive qu'il a entamé depuis qu'il a été élu conseiller d'arrondissement est une tentative pour reprendre la barre. Mais pour aller où ? Tout le monde ici se pose la question. Seul Jimmy Jones semble le suivre aveuglément.


samedi 6 février 2010

Un été caniculaire


Je passe mes après-midis à quadriller l'Inside City, armé de mon Zeiss Ikon Contax. Un vieux coucou ayant appartenu à Robert Capa , ce que m'a affirmé O'Flaherty. Ce type adore la ramener avec ses anticailles. Pour ma part, j'aurais préféré un numérique. Le Ds Mark III par exemple, un pet
it bijou que j'ai vu trainé dans le département "regard sur le monde". Malgré le prix de la pellicule, je mitraille de façon systématique comme me l'a appris Ange Staboulov. Depuis son passage à la tête de l'OBNI, il a développé un penchant pour les méthodes radicales. Je passe des heures à arpenter les rues du quartier. Le soleil tape dur sur les façades en béton. Je tente de me protéger des mouches qui deviennent vicieuses à cause de l'odeur des poubelles qui s'entassent sur les trottoirs. Une preuve supplémentaire de l'incurie de la municipalité comme dit Charly Wang. Au conseil d'arrondissement, il a menacé les bureaucrates de la mairie d'aller lui-même, avec ses gars, ramasser les ordures et les déposer dans les quartiers résidentiels de la banlieue Est. On l'en croit capable. Jimmy Jones est à la tête de cette bande de petites frappes que le propriétaire du White Swan a constitué. Tout ce beau monde commence à inquiéter jusque dans l'Inside. De nombreux graffitis dénoncent Wang et son acolyte. Je me dépêche de les photographier. J'ai l'impression qu'ils seront les premiers à subir les assauts du Karcher. Est-ce pour ramener les traces de cette contestation qu' O'Flaherty m'a confié cette mission ou pour cette mystérieuse silhouette sombre bombée sur la façade du White Swan avec cette inscription A la mémoire de Dounia Summers .

dimanche 24 janvier 2010

Une proposition


O' Flaherty m'a recontacté. On s'est donné rendez-vous à l'endroit habituel, le Ruth's Chris Steak House. Le responsable du département de cryptologie est arrivé avec une grosse valise. J'avais choisi une table un peu à l'écart. Il s'est assis et a jeté un oeil autour de lui, comme s'il se méfiait de quelque chose. Il a fini par se lancer.
- Tu sais que depuis quelques années, on a mis sur pied un projet de relevé systématique de tous les tags et graffitis de ce foutu bled. C'est un sacré boulot crois-moi.
J'en avais entendu parler. Le genre de projet inutile qu'affectionne l'International Spy Foundation. Je sais gardé pour moi mes réflexions. Attendre et laissé venir. Il a continué.
- Voilà pourquoi je t'ai appelé. Depuis que Charly Wang est le représentant de l'Inside City au conseil d'arrondissement, il a décidé de lessiver les murs du quartier. Je juge pas. Mais, rapport au patrimoine, c'est comme qui dirait l'Opernplatz en 1933 .
Il attigeait. L'irlandais est un habitué de la chose. C'est un grandiloquent. Mais je ne voyais pas trop où il voulait en venir. Ca finit par arriver.
-Alors voilà. Je me suis dis, comme tu habitais là et que tu avais un peu de temps devant toi, tu pourrais peut-être photographier tout ça avant que ça disparaisse.
Il a ouvert sa valise et m'a tendu l'équipement adhoc. On s'est quitté là, sans un mot. J'avais juste hoché la tête. Le soleil commençait à descendre vers l'horizon. Il me fallait rejoindre la fondation. Une longue nuit de travail m'attendait.


dimanche 17 janvier 2010

Le représentant


Charly Wang a été officiellement élu représentant du premier arrondissement de N.D.Lay. Depuis, on le voit quadriller régulièrement l'Inside City, à bord de son vieux Ford pick up, accompagné de son associé Jimmy Jones . Il y a une semaine, le propriétaire du White Swan a débarqué dans la vieille batisse en brique rouge de l'International Spy Foudation. Il m'a tendu sa carte et l'autorisation ad hoc. J'ai eu un instant d'hésitation :
- Je vous croyais en froid avec Staboulov
- Ma misérable personne n'a que peu d'importance, voyez-vous. J'ai un grand projet pour mon quartier.
Il m'a demandé les clés du département "regards sur le monde". Une plaisanterie du grand manitou pour désigner la caverne d'Ali Baba pour qui voulait mater son prochain en toute impunité. Je n'ai pu m'empêcher de faire mon intéressant.
- Je vous croyais contre la videosurveillance ?
- Je vous croyais hôtesse d'accueil, m'a-t-il répondu en souriant.
Une chose est sûre, il est plus proche de Staboulov qu'il n'y parait. Cette idée ne me plait guère.


samedi 16 janvier 2010

Un contrat


Mon boulot est simple. Des types se présentent à n'importe quelle heure de la nuit. Ils me montrent leur carte d'accréditation et leur demande spéciale, tamponnée par le directeur en personne. Parfois, on échange quelques mots. J'ai les clés de tous les départements de la fondation. Des petites clés Iseo City à billes réversibles. Le service de nuit se termine à six heures du matin. Les usagers des locaux doivent retourner la clé avant cet horaire. C'est dans le contrat. Parfois je fais quelques minutes supplémentaires. J'ai demandé un jour à Staboulov, pourquoi dans ce lieu bourré de gadgets en tout genre, les portes s'ouvraient encore avec des clés. Le grand Sachem m'a regardé d'un air surpris :
- Mon petit vieux, vous croyez vraiment que tous ces salamalecs servent à quelque chose. Chacun de vos visiteurs a son empreinte rétinienne dans la bécane centrale. Un coup de scanner à l'entrée de chaque département et le tour est joué. Il y a un foutu bail qu'il n'y a plus de serrures à nos portes. Vous savez , nos clients passent parfois des jours entiers sans rencontrer qui que ce soit. Vous êtes une sorte d'hôtesse d'accueil, payé pour être là et taper un peu la causette si le type le désire.
Je hochai la tête. Que je fusse payé pour ma seule présence, techniquement inutile, qu'on n'attendît de moi aucune compétence particulière , cela me rendit soudain la vie plus légère.

dimanche 10 janvier 2010

Mauvaise nouvelle des étoiles


C'est Ange Staboulov qui m'a appris la nouvelle.
Raoul Da Silva
s' est suicidé à l'hôpital spécialisé en santé mentale de Kcavaz Tnerual. Il souffrait d'une forme aigüe de terreur paranoïaque. Enfin c'est ce qu'avait diagnostiqué le Docteur Schott qui l'avait fait admettre à la clinique de Saint Alban, une clinique à la mode où il avait jadis exercé.
Ce pauvre Raoul avait connu les geôles du général Videla. Depuis, la terreur ne l'avait plus quitté. Elle refaisait surface à l'occasion de certaines rencontres:
-
Vous vous souvenez de Joe Ghidetti bien sûr ?" , m'avait glissé Staboulov
Le docteur Schott qui avait gardé des contacts avec Saint Alban, y tenait un séminaire sur la peur. Les malades pouvaient y participer. La queue de comète de la psychiatrie institutionnelle. Le Doc était le dernier des mohicans.
C'est à un de ces séminaires que Da Silva avait rencontré
Nicolas Ardbeg une sorte de mystique qui la ramenait à la moindre occasion. Da Silva s'était entiché de ce Ardbeg, au point de vouloir le suivre lorsque celui-ci fut transféré à l'hôpital Kcavaz Tnerual. Je n'ai appris que très récemment l'arrivée de mon ami Raoul à N.D.Lay. Ce hasard m'a beaucoup troublé. Je lui ai écrit pour lui annoncer ma visite. Avait-il reçu la lettre ? L'annonce de ma venue avait-elle brisé le fragile équilibre qu'au dire de ses médecins, il semblait avoir retrouvé?
Etrangement, j'ai reçu un message de condoléances de ce Nicolas Ardbeg qui parait en savoir beaucoup sur moi.

samedi 2 janvier 2010

Conversations entre gens de bonne compagnie


O'Flaherty est
est un irlandais costaud et rouquin. C'est le responsable du département de cryptologie de l'International Spy Foundation. Il y a quelques jours, il m'a donné rendez-vous au Ruth's Chris Steak House, un quartier friqué de N.D.Lay, à l'ouest de l'Inside City. A peine assis, il a posé sa sacoche sur la table et a sorti un cahier recouvert de cuir rouge. Il m'a dit qu'il voulait me montrer ça et que je connaissais déjà évidemment. Le titre était gravé en caractères gothiques "Conversations entre gens de bonne compagnie"..
Bien sûr que je connaissais. Bibi et tout le monde à la Fondation avait entendu parler de ce cahier.Il était d'habitude conservé dans le coffre-fort personnel d'Ange Staboulov. Le grand chaman me l'avait montré un jour :

- C'est un vieil ami, André Legoff qui a fabriqué la couverture. Magnifique n'est-ce pas?
Il jubilait
- Magnifique.
J'avais pris le ton du type pas concerné pour deux balles . Il ne fut pas dupe. Il éclata de rire :
- Sacré grand con, tu me prends pour une andouille non? André Legoff , tu le connais aussi bien que moi. N'est-ce pas monsieur le technicien supérieur en linguistique de mes deux ?
J'avais rien répondu. Il a ajouté :
- Mais peut-être qu'un jour on aura besoin de tes lumières. Va savoir.
Le jour était sans doute venu. L'irlandais me le confirma:
- Ce truc résiste à toutes nos tentatives de décryptage. D'après le patron, tu es un expert.
- Qu'est-ce qui te fait penser que ces écrits sont cryptés.
- Ces phrases sans queue ni tête avec une couverture pareil, quoi d'autre ?
Bien sûr. J'ai repensé aux soirées passées avec la bande du Gulliver. Qu'est-ce que ces types de l'international boite à barbouze, grandi dans un pays rompu à la communication efficace, auraient pu comprendre à ces rêveurs de phrases. Je me suis souvenu d'une de ces sentences que le Docteur Schott
aimait lâcher à la fin de nos conversations:
"Vous savez , jeune homme, l'essentiel du message n'est pas ce qui s'y dit mais le lien invisible que vous tissez avec votre interlocuteur."

Merde. Je n'étais pas ici pour ressasser le passé mais pour retrouver les traces du grand Rimasky. Et pour cela j'avais besoin d'Ange Staboulov. J'ai pris le cahier et ai promis d'y jeter un oeil.
Nous avons terminé la soirée autour d'un T.Bones steack garni de french potatoes et d'une bouteille de Panamera, un rouge dont le goût boisé me semblait étrangement idéal, à l'image de cette banlieue résidentielle de N.D.Lay.



mercredi 23 décembre 2009

Un poème


Hier soir, j'ai posé quelques questions à Charly Wang sur son associé Jimmy Jones. Le propriétaire du White Swan a souri et a murmuré qu'on y était. Puisqu'on y tenait, qu'il allait nous montrer quelque chose.
Et il a quitté le bar de l'hôtel. Et j'en ai profité pour me resservir un verre de rhum, un Havana Club quinze ans d'âge qu'il avait ouvert pour l'occasion. Charly Wang sait s'adapter à ses invités. Ses relations d'affaires peuvent savourer le meilleur bourbon de N.D.Lay et il arrose ses repas avec ses amis de Little China d'un baijiu réservé dans leur pays d'origine , aux cadres du parti. Je n'ai jamais su ce qu'il préférait réellement.
Il est revenu quelques minutes plus tard avec un vieux numéro de Poetry: "Saviez-vous que ce monsieur Jones fut jadis un jeune poète prometteur." J'ai pris la revue. Le poème de Jimmy Jones était bien dans la veine de cette école de N.D.Lay, fortement imprégné de substances de synthèse de toutes sortes. Il s'intitulait : Et les enfants se ruaient sur ses plaies heureuses ouvrez grand vos bouches mères malheureuses.
"Ce Jimmy Jones est décidément très surprenant" que me dit Charly Wang. Là, pour la première, j'ai lu dans ses yeux , lui toujours si clairvoyant, quelque chose qui ressemblait à de la perplexité.


dimanche 20 décembre 2009

La photo


Pourquoi suis-je venu ici, m'enterrer en plein coeur de l'Inside City? Charly Wang m'a posé la question un jour. La réponse ne l'a pas convaincu. Peu de gens dans cette ville connaissent le grand Rimasky et mon hôte ne fait pas exception à la règle, lui si friand de romans d'édification et de poésie lyrique. D'ailleurs les pas du grand écrivain auraient dû me conduire plus au sud, du côté de la Southwestern avenue et du quartier portuaire de San Pedro. Pourquoi suis-je venu ici, m'enterrer en plein coeur de l'Inside City ? Je ne le sais sans doute pas moi-même. Ange Staboulov , le directeur de l'International Spy Museum , lui, le sait. Ce matin,il m'a convoqué dans son bureau et m'a montré une photo sous verre, qu'il manipulait avec précaution. On y voyait le grand Rimasky debout à côté d'un autre homme , plus jeune, vêtu d'un long cache poussière, portant moustache et lunettes noires. Joe Ghidetti, le barman du Soho, au temps de sa splendeur. Je connaissais cette photo comme tous les amateurs du Maître de N.D.Lay mais je n'avais jamais vu l'original . Est-ce cela ou un effet de l'éclairage mais je crus reconnaitre sous les postiches du barman, le visage familier de Jimmy Jones, le fidèle partenaire de Charly Wang.

mercredi 16 décembre 2009

L'élection


L'Inside city est un quartier de côté. Charly Wang cherche à y
fédérer les énergies . C'est écrit dans son programme pour l'élection des représentants au comité d'arrondissement. Depuis plusieurs mois il sillonne les ilots délabrés de Main Street et d'Illegal Boulevard. La population de l'Inside est presque exclusivement composée de petits blancs à l'accent cockney et de latinos férus d'informatique. Elle se méfie de ce chinois que chacun soupçonne d'être un espion à la solde de Pékin. Le propriétaire du White Swan accueille cette accusation avec un léger sourire. Tous mes compatriotes ont été un jour ou l'autre collaborateurs du Guoanbu. C'est ce qu'il répond. Jimmy Jones l'accompagne dans tous ses déplacements. Personne ne connait vraiment son rôle dans cette histoire et personne d'ailleurs ne semble s'en soucier. Quant à moi, je suis l'étranger de service. Cette position me va comme un gant.

samedi 12 décembre 2009

Jimmy Jones


L'Inside City est un quartier à faire. Un no man's land avec un "fort potentiel de développement" comme le dit Charly Wang. Lui-même s'y emploie. Avec une de ses relations , un certain Jimmy Jones, il a ouvert une alimentation spécialisée dans le tout venant. Pour ma part, je m'y approvisionne en boisson gazeuse et en chocolat noir. Pour le reste, je cantine à l'International Spy Foundation où je suis gardien de nuit.

Le White Swan


Wang kar-li est le patron du White Swan mais de l'Inside City à Little China, tout le monde l'appelle Charly Wang. Le White Swan semble être pour lui une activité secondaire.Je le vois souvent dans le hall de l'hôtel en grande discussion avec des "relations d'affaires". C'est l'expression qu'il utilise. Il dit ça, comme un enfant pris en faute qui cherche à se justifier.

L'arrivée


N.D.Lay. J'ai débarqué ici muni de mon diplôme de linguistique appliquée en couches successives. J'ai trouvé asile dans l'Inside City. Au White Swan. Un hôtel avec pignon sur rue tenu par un chinois égaré dans ce quartier à plusieurs lieues au sud de Little China.J'ai posé mon vieux Toshiba sur la table en bois, juste en dessous de la fenêtre de ma chambre. Il y a ici tout ce qu'il faut en matière de standard international et de boisson gazeuse pour me permettre de plonger dans le grand bain électronique. Qu'il en soit ainsi.